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Publié le – Mis à jour le
Épargné par la guerre jusqu’alors, le quartier du Val est finalement classé “secteur menacé” en 1943, pour sa proximité avec la gare de Juvisy-sur-Orge, par le secrétariat d’État à l’Intérieur. Le prochain débarquement en Normandie impose aux Alliés de couper toutes solutions de repli vers l’Ouest aux unités de la Wehrmacht. La gare de triage de Juvisy, plateforme d’approvisionnement de l’armée allemande, devient un objectif prioritaire de l’aviation alliée.
Le 18 avril 1944, à 23 heures, l’alerte est donnée. Les Anglais sont là ! Le grondement de plus de deux cents avions se fait entendre. Heureusement, depuis plusieurs jours, des messages codés diffusés par la BBC depuis Londres, traduits en clair et diffusés au sein de la population, sans doute par des résistants, faisaient état d’un prochain bombardement du triage de Juvisy-sur-Orge et d’Athis-Mons. Le message était : « Les haricots sont verts et l’Orge est trouble »… Les habitants, sur le qui-vive, partent se réfugier dans les villes avoisinantes moins exposées, ou gagnent les sous-sols de leurs habitations pour protéger leurs vies et celles de leurs proches. “Les fusées-parachutes éclairantes ont illuminé le ciel, comme en plein jour. Une image que je n’oublierai jamais”, témoigne Pierre Lebert .
Dans un bruit assourdissant, pendant cinquante minutes, les avions anglais vont lâcher près de 3 000 bombes sur la gare de Juvisy, reconnue comme étant “la plus grande du monde” avec sa zone de triage, ses dépôts de machines à vapeur et ses halles de déchargement, puis sur le Val d’Athis pour les vagues qui suivirent.
“Il faisait beau ce soir-là mais le vent d’Est poussait les parachutes des fusées éclairantes vers le Val. Cette déviation des marqueurs éclairants envoyés sur la gare de Juvisy est peut-être la raison pour laquelle les vagues qui suivirent touchèrent le Val d’Athis-Mons si durement”, explique Gérard Saland, témoin des bombardements.
Des centaines de maisons et d’immeubles sont rasés. Un wagon, projeté sur deux-cents mètres, éventre la nef de l’église Notre-Dame de Lourdes qui sera reconstruite un peu plus loin dans l’avenue Jean Jaurès et deviendra Notre-Dame de la Voie, en hommage aux cheminots dont elle est la Patronne. Le groupe scolaire Jaurès-Calmette est très endommagé. Le pont de Lyon est partiellement détruit. Le quartier du Val est rendu à un amas de ruines. Le bilan humain est lourd. Cette attaque tue 392 personnes [267 à Athis-Mons et 125 à Juvisy-sur-Orge], dont huit sapeurs-pompiers, faisant des centaines de blessés et 1 800 familles athégiennes sinistrées. Le visage du Val va changer pour toujours !
“Une bombe est tombée dans le jardin de la maison de mes grands-parents, rue Bertrand Maupomé. Mes grands-parents y logeaient deux jeunes cheminots, au premier étage. Ma grand-mère leur faisait la soupe ce soir-là. Au début du bombardement, ils se sont tous les quatre réfugiés au sous-sol. Ils ont entendu toute la maison tomber sur eux. Lorsqu’il n’y avait plus de bruit, mon grand-père a pris une pelle et a creusé un passage pour sortir. Il n’y avait plus rien autour. Que des cratères de bombes, et les débris de la maison qui avait été soufflée…”
Thérèse Tellier
Un des drames de ces bombardements fut sans doute la quantité impressionnante d’engins à retardement déversées sur le Val par les Britanniques. Près de 400 bombes qui causèrent de nombreuses pertes parmi les habitants et les volontaires au déblaiement, mais aussi parmi les sauveteurs des Sapeurs-Pompiers, de la Croix-Rouge et les équipes de la Défense Passive. Le 19 avril à 1h20 du matin, la première bombe à retardement explose jetant l’effroi dans la population déjà choquée et désorientée. Ces éclatements continuèrent, de minute en minute, jusqu’au 20 avril. Les dernières explosèrent huit jours après l’attaque. Ce largage par les Britanniques de bombes à retardement, particulièrement meurtrières lors des opérations de déblayage, pose encore question aujourd’hui.
En application des lois en vigueur sur le relogement des sinistrés après les bombardements, la réquisition des pavillons non occupés par leurs propriétaires parisiens est instaurée. Des baraques regroupées en cités sont également mises à disposition et donnent un toit à la majorité des populations sinistrées. Entre 1945 et 1948, 240 constructions provisoires sont implantées sur le territoire d’Athis-Mons. Entre le 20 avril et le 14 juin, plus de 600 000 francs seront accordés aux sinistrés. Réunis le 22 octobre 1944 dans le préau de l’école des Gravilliers, les sinistrés se constituent en un groupement de défense qui adhère à la Fédération nationale des sinistrés. Son bureau est présidé par M. Godon et l’abbé François Laurent, particulièrement actif au recours des sinistrés. Ce groupement, qui comprend jusqu’à 800 adhérents, a pour but d’informer ses membres sur les droits qui leur sont reconnus par les lois de la reconstruction. La ville versera une subvention de 36 000 francs (qui sera portée à 72 000 francs en 1948) par an, les années d’après-guerre. La ville d’Athis-Mons sera déclarée sinistrée par un arrêté du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme en date du 3 mars 1945. Le 26 mars 1951, elle est citée à l’ordre du corps d’armée par Max Lejeune, Secrétaire d’État aux Forces armées après avoir été particulièrement éprouvée par 13 bombardements aériens. Douze ans après les bombardements, tous les sinistrés n’étaient pas encore relogés…
On ne peut parler de l’histoire du Val sans évoquer l’engagement et la bienveillance du chanoine François Laurent. Coprésident du comité intercommunal de secours aux sinistrés créé en 1944, le chanoine Laurent s’est beaucoup dévoué auprès des sinistrés des bombardements. Il prit part à la reconstruction de l’église Notre-Dame de la Voie.
“Après les bombardements, il donnait la main aux sauveteurs pour retirer les blessés et les morts enfouis sous les décombres. Je le revois aussi, en soutane, frappant à toutes les portes pour prévenir de la présence de bombes à retardement dans le Val“, raconte Hermine Coquenlorge. Pendant toute la durée de la reconstruction du Val, il prit très activement la défense des habitants concernés auprès des pouvoirs publics.
Le chanoine Laurent nous a quittés le 18 février 1982, laissant derrière-lui l’image d’un homme de bien, généreux et courageux, toujours prêt à rendre service et à s’engager pour une cause juste. Il repose au cimetière municipal d’Athis-Mons.
“Quand nous avons entendu les sonneries d’alerte, je me suis blotti contre ma mère avec l’édredon sur la tête, inquiet comme un enfant de onze ans pouvait l’être. Les autres locataires étaient descendus à la cave mais nous étions restés dans la chambre. Maman voulait que l’on reste dans notre chambre… À la fin des bombardements, je suis descendu dans le Val. À onze ans, on est inconscient et curieux. On ne se rend pas compte du danger. La Poste de la côte d’Avaucourt avait été rasée. Une personne sortait indemne d’une fontaine qui existait encore en 1944. Elle s’y était protégée pendant tous les bombardements. Plus je descendais, plus les maisons étaient détruites et les dégâts importants. Ces images de mon enfance ne m’ont jamais quittées. Encore aujourd’hui, la moindre sonnerie d’alerte me fait bondir. Le souvenir est encore très chaud !”
Pierre Patouillot
“Nous habitions rue Carnot. Je n’avais que 11 ans à l’époque. Avec les évènements que nous traversions, mon père avait décidé de creuser un abri dans le sentier jouxtant notre maison. Un énorme trou, couvert de bastaings et de paille sur plusieurs épaisseurs, qui nous protégerait ou du moins amortirait les impacts d’une bombe sur la maison. Elle fut vite mise à l’épreuve lors du bombardement de la gare de Villeneuve-Saint-Georges. J’ai encore le souvenir de la terre qui tremblait, et pourtant nous étions à plusieurs kilomètres des impacts. Le 18 avril, des amis parisiens de mes parents nous convièrent à un dîner dans la capitale. Il n’était pas question de rentrer tardivement sur Athis-Mons et nous gardèrent à dormir. Le lendemain, nous apprenions que le quartier du Val avait été lourdement bombardé. Nous rentrâmes au plus vite pour voir les dégâts. Seules les vitres de la maison avaient volé en éclat. La maison n’était pas touchée ! Par contre, l’abri que mon père avait conçu avait été frappé en son cœur par une bombe. Il n’en restait rien qu’un énorme cratère. Les amis de papa nous avaient sauvés la vie !”
Jacques Gatecel
“La maison est debout. De très gros dégâts, portes et fenêtres mais elle a bien résisté. Ta chambre et ton bureau sont en sécurité… Ces mots sont extraits d’une carte de correspondance des prisonniers de guerre que mon grand-père envoyait à son fils détenu en Allemagne. Nous sommes une des rares maisons à ne pas avoir été abîmées à part quelques vitres soufflées. Pour l’anecdote, trois grosses bordures de trottoirs ont été projetées de la rue jusqu’au grenier par le souffle des bombes. Mon grand-père les a lui-même redescendus et en a même fait un banc qui trône encore dans le jardin. Quand on a vidé le grenier, on a trouvé des boîtes en carton qui étaient pleines de bouts de ficelle et de morceaux de carton, de papier et de journaux. Ils gardaient tout. Ils avaient tellement manqué qu’ils ne jetaient rien. Même s’il y avait une forte solidarité de quartier, ce fut une période bien difficile pour eux.”
Maryse Daguet-Masset
“Dès que les sirènes retentissaient, tout le monde se retrouvait dans le sous-sol. Cette nuit du 18 avril 1944, dès l’appel des sirènes, nous nous sommes tous retrouvés dans la cave. Je me souviens qu’il faisait presque jour grâce aux fusées éclairantes larguées par les avions sur le triage pour permettre aux bombardiers de mieux atteindre leur cible. Mon grand-père, alerté par les sirènes, avait eu le temps de nous retrouver, ce qui nous a grandement rassurés. Comme nous étions entassés dans cette cave, je m’étais assise sur une caisse, mon regard dirigé vers les soupiraux donnant sur l’avenue Jules Vallès. Lorsque les avions piquaient pour larguer leurs bombes, je voyais leur éclairage au moment où ils passaient dans l’axe d’un soupirail et j’avais l’impression que le sol tremblait sous mes pieds. (ce n’était pas qu’une impression…). Les vagues d’avions se succédèrent durant un temps qui me parut interminable. Le bruit des bombes qui explosaient était infernal et je m’étais résignée à mourir car je ne voyais pas comment nous pourrions sortir indemnes de cet enfer sans fin. Mon père, membre de la Défense Passive, nous avait quittés dès le début de l’alerte pour rejoindre un point de ralliement. Dès la fin du bombardement, il est venu nous prévenir qu’il fallait évacuer d’urgence car une bombe non éclatée se trouvait dans un jardin voisin. En fait, c’était un énorme morceau de ferraille à moitié enterré qui avait été projeté là dans la tourmente. Près de 400 bombes à retardement gisaient dans le Val. Elles continuèrent à exploser les journées suivantes…”
Extrait du témoignage de Simone Devers recueilli en mars 2021, et qui nous a quittés depuis.
“Pendant les bombardements, mes beaux-parents n’ont pas trouvé d’autre échappatoire que de s’enfuir en direction de l’Orge mais se sont finalement perdus dans ce dédale de désolation et de chaos. En longeant le cours d’eau, mon beau-père y vit le dos d’un corps flottant qu’il s’empressa de tirer vers la berge. C’était sa femme. Toujours en vie. Il venait de la sauver ! Traumatisée par cette tragédie, elle en garda des séquelles durant toute sa vie.”
Annie Nugues
“Quand les sirènes ont retenti, mes grands-parents se sont mis à la fenêtre. On y voyait comme en plein jour. Ensuite, les bombardements ont commencé. Un tonnerre de feu, comme une apocalypse. Rendez-vous compte, des essieux de trains ont été projetés de la gare jusqu’aux marches du Parc des grottes de Juvisy. Nous avons eu beaucoup de chance. Mes parents vivaient rue de Juvisy mais mes grands-parents nous faisaient remonter tous les soirs rue des Coquelicots pour nous protéger. Nous savions que si un bombardement avait lieu, il se déroulerait durant la nuit. Quelle époque !”
Hermine Coquenlorge
“J’habitais à l’époque en face de l’Observatoire Camille Flammarion à Juvisy-sur-Orge. Nous nous protégions dans une cave qui se trouvait sous notre jardin. Comme j’étais curieux, je passais toujours mon nez au travers de la porte et là, je vis les chapelets de bombes qui tombaient des avions, par dizaine, par centaine… Il y en a une qui est tombée dans le parc à 200 mètres de notre habitation. Vous auriez vu l’importance du cratère ! D’après les dires des voisins, il s’agissait d’une bombe d’une tonne. Je me souviens encore du sifflement des bombes qui tombaient, du souffle qui nous collait au mur et des explosions qui faisaient trembler le sol. J’ai gardé cela en mémoire pendant pas mal de temps. Je disais à un ami, malheureusement décédé pendant les bombardements, que c’était fou tous ces chars et ce matériel militaire sur les wagons en gare de Juvisy. Il y a un drôle de carton à faire ! La suite me donna raison… !”
René Le Peutit
“Travaillant au chemin de fer aux ateliers de Vitry [qui existent encore aujourd’hui], mon père partait souvent avec son vélo vers Brétigny pour chercher du ravitaillement parce qu’il n’y avait rien à manger. Il aidait beaucoup les autres. C’était important pour lui. Avec le chanoine Laurent, ils se réfugiaient souvent ensemble, vers les Forges. Le souvenir que mes parents m’ont laissé est que tout avait été détruit autour de l’église Notre-Dame de Lourdes mais la statue de la Sainte-Vierge avait échappé aux bombardements. C’était incroyable. Elle est restée debout, intacte, comme un symbole dans ce quartier dévasté. À la reconstruction de la nouvelle église Notre-Dame de la Voie, la Sainte-Vierge y fut réinstallée. On peut donc la voir encore aujourd’hui.”
Françoise Pessidous
La Ville remercie toutes les personnes qui ont accepté de témoigner, les services d’archives, les organes de Presse, la Maison de Banlieue et de l’Architecture pour son précieux soutien, les photographes de l’époque et collectionneurs d’aujourd’hui, et tous ceux qui nous ont aidés à la rédaction de cet article.
Crédit photos : Monsieur Vannier, Monsieur Lozes, Monsieur Perilhou. Collections Daguet-Masset, Lebert, Maison de Banlieue et de l’Architecture.